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Les entreprises familiales face au risque de la transmission

Publié le 14/10/2025

Un tiers des sociétés de ce type ne réussissent pas la transition de la première à la deuxième génération. La majorité des successions sont mal préparées et les passages de relais aux salariés restent rares.

Un choc générationnel se profile dans le paysage entrepreneurial français. Dans les dix prochaines années, plus d'une PME ou ETI sur deux sera confrontée à une transmission de son capital et de sa gouvernance, selon une étude de Bpifrance publiée en 2023. Un volume trois fois supérieur à celui observé au cours de la décennie précédente, avec des conséquences économiques et humaines majeures.

Premières concernées : les entreprises familiales qui, malgré leur vision de long terme, n'anticipent pas suffisamment ce tournant. 47 % des chefs d'entreprise familiale âgés de 60 à 69 ans n'ont en effet pas formalisé de plan de succession. Ce chiffre se monte à 36 % pour les dirigeants de plus de 70 ans.

Ce manque de préparation et la méconnaissance de certains dispositifs expliquent en partie le taux d'échec élevé des successions familiales, avec seulement un tiers des entreprises qui réussissent le passage de la première à la deuxième génération.

« Il y a encore de nombreux dirigeants qui ne connaissent pas le pacte Dutreil [dispositif fiscal qui allège le coût de la transmission familiale des entreprises, NDLR] et pensent que la transmission reste trop coûteuse, commente Blandine Pessin-Bazil, associée au sein de la société d'investissement For Talents, chargée de l'accompagnement des dirigeants. C'est un sujet de société, de préservation des activités économiques et des savoir-faire d'autant plus stratégique que la préparation d'un plan de transmission ne se limite pas aux aspects techniques et fiscaux. »

Aborder les sujets sensibles

Le manque de préparation psychologique est l'autre principale cause d'échec fréquemment constatée.

« Une transmission échoue souvent car les raisons humaines et émotionnelles ne sont pas prises en compte. Le manque de communication, les non-dits et les attentes implicites non exprimées créent des obstacles », concède Ana Maria Bonduelle, à l'origine de la Fresque de la transmission, un outil qui a accompagné une centaine de familles depuis sa création, en 2024.

Celle-ci crée un espace neutre et structuré pour aborder ces sujets sensibles. Les questions d'équité au sein de la fratrie, de légitimité du futur dirigeant ou encore du rôle de chacun dans l'après-transmission doivent être mises à plat.

Antoine Honoré, 63 ans, dirige le groupe Metalians qu'il a repris en 1998 et qui compte aujourd'hui 85 salariés. Il a toujours imaginé la possibilité de transmettre l'entreprise à ses enfants. En juillet 2025, il a participé à un atelier de la Fresque de la transmission, un workshop de quatre heures qui a réuni deux coachs et deux de ses quatre enfants, Igor et Gaston Honoré, actuellement commerciaux dans la société.

Définir un plan d'actions

« C'est le coeur qui parle. Les coachs nous mettent en totale confiance, assure le dirigeant. Cet atelier nous a permis de prendre le temps de discuter, de voir ce que je peux faire pour que la famille perdure, au niveau personnel mais aussi professionnel, et de mettre sur la table les envies, les ambitions de chacun des enfants. »

Ce rendez-vous lui a surtout permis d'engager une démarche proactive pour sécuriser l'avenir de son entreprise, ainsi que celui de ses collaborateurs. « Cet atelier m'a fait prendre conscience que l'anticipation et la préparation allaient m'aider à me détacher de l'entreprise, que le transfert de compétences devait être anticipé et planifié dès à présent. J'ai même pris la décision de partir le 1er juin 2028 et défini un plan qui assurera la réussite de la transmission. »

Plusieurs actions seront mises en place : la création d'un comité de décision, l'identification des formations et des axes stratégiques afin de faire monter en compétences ses deux enfants, et l'intervention d'un expert pour mettre à plat des sujets plus techniques et financiers.

« Il est important de parler de choses qui fâchent et de cadrer les points susceptibles de faire échouer le projet. Pour partir le plus sereinement possible, écarter les problématiques d'argent et de pouvoir, et garantir une équité entre mes quatre enfants - sachant que deux ne sont pas intéressés par la reprise -, des experts nous conseillent sur le montage juridique à mettre en place », conclut Antoine Honoré.

La transmission aux salariés, une voie méconnue

La reprise par des membres de la famille n'est pas sans risques. « En France, tout est sous-tendu par une logique d'égalité, ajoute Blandine Pessin-Bazil. Certains dirigeants vont privilégier l'égalité dans la transmission des titres de l'entreprise entre leurs enfants, alors qu'un seul enfant va décider de travailler dans l'entreprise pour la développer, ce qui peut générer des tensions au sein de la fratrie. » Pour éviter les conflits familiaux, certains dirigeants préfèrent alors vendre leur entreprise.
La vente peut aussi être extérieure. Il existe une autre voie, encore sous-exploitée : la transmission en interne aux salariés.

Ce modèle reste marginal, qu'il soit fondé sur la reprise collective par un groupe de managers, via des opérations de MBO, ou par un groupe plus important de salariés via des structures coopératives, par exemple.
L'un des freins à cette transmission interne est son coût pour les repreneurs qui, n'étant pas de la famille, ne peuvent bénéficier des avantages fiscaux du pacte Dutreil. Les gouvernements successifs se sont maintes fois penchés sur le sujet, sans vraiment régler le problème.

Seules des solutions financières sont alors proposées. Ainsi, Bpifrance a lancé en mai 2025 un plan Transmission et a enrichi son offre d'accompagnement. L'un des axes clés de ce plan est un prêt sans garantie personnelle permettant de financer la reprise des PME et ETI, pour un montant maximal de financement de 5 millions d'euros.

Par Mallory Lalanne ( Les Echos). Publié le 23 septembre

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