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Auto-entrepreneur, un régime devenu complexe

Publié le 19/09/2025

Les microentrepreneurs (anciennement auto-entrepreneurs) doivent composer avec des règles de plus en plus complexes. Frédérique David-Créquer, autrice du livre de référence « Je suis auto-entrepreneur ! », revient sur cette dérive bureaucratique.

Le régime micro entrepreneur est-il devenu trop complexe ? 88 % des auto-entrepreneurs (ancien nom du régime) redoutent les nouvelles charges et obligations comptables. C'est ce que révèle une étude menée auprès de 1.600 professionnels interrogés par l'Union des Auto-Entrepreneurs (UAE), dans le cadre de son Observatoire, avec le soutien de la Fondation Le Roch-Les Mousquetaires.

Depuis la création du régime, en 2009, l'auto-entreprise, devenue micro-entreprise, n'a cessé d'empiler les exceptions, les cas particuliers, les nouvelles taxes… faisant chaque fois s'éloigner un peu plus la promesse de simplicité. Lancé par Hervé Novelli pour répondre à la crise économique et au chômage, l'auto-entrepreneur promettait un accès simple à l'activité indépendante - sans capital minimum, sans comptabilité, avec des prélèvements liés à l'encaissement de chiffre d'affaires. Le régime a rapidement séduit un public très large. On compte actuellement près de 2,5 millions de micro entrepreneurs dont les deux-tiers environ sont « économiquement actifs ».

Ce succès a aussi généré des inquiétudes, en particulier de la part des artisans : concurrence déloyale, substitution à l'emploi salarié et économie parallèle, obligeant le gouvernement à, sans cesse, ajuster le dispositif.

Frédérique David-Créquer s'impose aujourd'hui comme une voix majeure des indépendants. Formatrice au sein de Plumes Fantastiques, qu'elle a fondée, elle est aussi autrice du livre de référence « Je suis auto-entrepreneur ! », régulièrement réédité pour intégrer les dernières évolutions légales et fiscales. La 6ᵉ édition, parue le 24 avril 2025, détaille concrètement les droits, obligations et stratégies pour maitriser le régime d'auto-entrepreneur.

5 questions à Frédérique David-Créquer, spécialiste du régime d'auto-entrepreneur

1. En 2008, le régime de l'auto-entrepreneur avait été présenté comme un dispositif simple et accessible. Pourquoi la majorité des concernés ont maintenant peur de sa complexité ?

À sa création, déjà, le régime d'auto-entrepreneur ressemblait à un gâteau pas tout à fait terminé. L'initiative était excellente, très attendue, mais certains points essentiels avaient été oubliés, comme la retraite des indépendants. Il y avait également des incohérences. On pouvait, par exemple, devenir plombier sans diplôme, ce qui a insurgé les artisans !

Au-delà de ces problèmes initiaux, ce qui a aggravé les choses, c'est la tendance française à rajouter des normes sur les normes. Tout est rapidement devenu complexe, avec notamment la loi de finances pour 2018, qui a doublé les seuils de chiffre d'affaires autorisés : jusqu'à 170.000 euros pour les activités d'achat-revente et 70.000 euros pour les prestations de services.

Plus récemment, la facturation électronique a cristallisé les tensions. L'Etat, qui devait proposer une plateforme gratuite, a abandonné le projet. Cela oblige les auto-entrepreneurs à passer par des plateformes payantes. Malgré ces promesses non tenues, le régime reste aujourd'hui le plus simple pour entreprendre.

2. Les obligations liées à la TVA ou les taxes locales se sont multipliées. Quels sont les pièges les plus courants pour les nouveaux entrants ?

Le premier écueil, c'est la TVA. Beaucoup ne distinguent pas la différence entre être assujetti et être redevable. Être assujetti signifie qu'on entre dans le champ d'application de la TVA. Toutes les entreprises le sont par défaut, sauf exceptions comme certaines administrations, associations, ou particuliers.

Mais être redevable, c'est autre chose. Cela veut dire qu'on doit effectivement collecter la TVA auprès de ses clients et la reverser à l'Etat. Cette confusion de langage est dangereuse : avec l'arrivée de la facturation électronique, beaucoup risquent de croire qu'ils ne sont pas concernés, alors qu'ils le sont. D'autant que ce malentendu touche autant les indépendants que certains experts-comptables !

La CFE, la cotisation foncière des entreprises, pose aussi problème. Tout le monde doit la payer, après une première année d'exonération. Mais elle n'est pas proportionnelle au chiffre d'affaires : qu'on réalise 10.000 ou 30.000 euros, le montant reste le même. En termes de justice sociale, ce n'est pas satisfaisant. On parle beaucoup de simplification, mais dans les faits les collectivités ajoutent de la complexité et n'entendent pas vraiment les besoins des indépendants.

3. Le régime attire des profils variés, souvent en reconversion ou en recherche de revenus complémentaires. Est-il encore adapté à ces parcours, ou devient-il trop contraignant pour les petits indépendants ?

Le régime reste le plus simple pour lancer une activité, surtout pour ceux qui n'ont pas d'autre choix, comme les personnes en reconversion ou les plus de 50 ans confrontées au chômage. Il offre une porte d'entrée rapide sur le marché du travail, souvent saturé. Mais il ne faut pas se leurrer : se mettre à son compte demande de la rigueur. Il faut savoir trouver des clients, rédiger des contrats, gérer la comptabilité et organiser son temps. C'est un métier complet, exigeant, et ce n'est pas adapté à tout le monde.

En revanche, comme la multiplication des normes et des obligations a rendu le régime plus complexe qu'au départ, il est devenu essentiel de se former, de lire et de comprendre ses droits et obligations pour éviter les erreurs. Surtout, il faut faire attention aux sources d'information. Lors d'une recherche que je faisais il y a peu, une intelligence artificielle m'a affirmé qu'une indépendante pouvait travailler pendant son congé maternité, ce qui est interdit. Je conseille également à tous les novices de faire des recherches sur les formateurs. Parfois, ils donnent des conseils mais n'ont jamais été à leur compte.

4. A quels moments les auto-entrepreneurs expérimentés se sentent-ils perdus dans le système, et comment peuvent-ils s'y retrouver au quotidien ?

Même les indépendants aguerris se heurtent à des blocages administratifs. Un exemple récent concerne les plateformes comme Malt, qui mettent en relation freelances et clients. Ces intermédiaires sont désormais obligés de déclarer à l'Urssaf le chiffre d'affaires réalisé par leurs utilisateurs. Mais pour des raisons inconnues, Malt transmet les montants toutes taxes comprises, alors que l'Urssaf les considère comme hors taxes.

Résultat : certains auto-entrepreneurs se voient réclamer des cotisations supplémentaires injustifiées, parfois avec la menace d'huissiers.

Aujourd'hui, des acteurs comme Superindep.fr tentent de défendre ces travailleurs face à l'administration, mais beaucoup restent piégés.

Ces situations illustrent un problème plus large, car même les outils censés simplifier la vie des indépendants deviennent source de complexité. Le guichet unique, lancé pour centraliser les démarches, a lui aussi provoqué de nombreuses difficultés. Dès son ouverture, des erreurs d'enregistrement d'adresse ou de données bloquaient les dossiers, et chaque institution se défaussait sur une autre. Malgré des améliorations en cours, le dispositif reste fragile et continue d'alimenter les incompréhensions.

5. Seize ans après sa création, pensez-vous que le régime doit être refondu pour redevenir lisible, ou bien faut-il accepter sa complexité croissante comme une conséquence inévitable de son succès ?

Je crois qu'il faut accepter cette complexité croissante, car elle tient aussi aux règles européennes qui concernent toutes les entreprises. Mais cela ne doit pas masquer l'urgence de corriger les dysfonctionnements du quotidien. On ne peut plus empiler normes, difficultés administratives et bugs informatiques sans fragiliser les indépendants. J'ai en tête le cas d'un entrepreneur qui a perdu son allocation adulte handicapé simplement parce que le logiciel n'a pas su gérer son statut d'indépendant, alors même que l'aide est compatible. Ce genre de situations ne devrait pas exister.

C'est là que se situe l'enjeu : une fois les règles posées, elles doivent être stables et prévisibles. Les auto-entrepreneurs ont besoin de visibilité, pas d'incertitude permanente.

L'exemple du changement brutal du plafond de TVA en 2025 est désastreux : annoncer en janvier un seuil à 37.000 euros, puis le ramener à 25.000 quelques mois plus tard, sans calendrier clair, c'est plonger des milliers d'indépendants dans l'angoisse. Si des ajustements sont nécessaires, ils doivent être annoncés pour l'année suivante, pas en cours de route. Le régime a été créé dans un contexte de crise et d'anxiété, il ne devrait pas, dix-sept ans plus tard, ajouter de l'instabilité à l'instabilité.

Par Cécile Moine et Solenn Lecat (Les Echos). Publié le 12 septembre

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