Transmettre son entreprise à moindre coût avec le Pacte Dutreil
La question de la transmission d'entreprise se pose inévitablement avec l'âge. Cette transmission peut être subie, comme en cas de décès brutal de l’entrepreneur, ou anticipée, notamment par le biais d'une donation. Dans les deux cas, qu'il s'agisse d'une donation ou d'une succession, la transmission des parts ou actions d’une société peut bénéficier d'une exonération de droits de mutation à hauteur de 75 % de leur valeur. Pour en bénéficier, les titres transmis doivent faire l’objet d’un engagement de conservation, aussi appelé « Pacte Dutreil ». Tour d‘horizon des conditions à respecter pour pouvoir en profiter.
Qu’est-ce que le « Pacte Dutreil » ?
Créé par la loi pour l’initiative économique du 1er août 2003, le Pacte Dutreil a été instauré pour préserver les entreprises familiales d'un affaiblissement, voire d'une vente, lors du décès du dirigeant. Face à une charge fiscale trop importante, les héritiers se trouvaient souvent confrontés à un dilemme : prélever d’importants dividendes afin de payer les droits de succession, au risque de compromettre la capacité de développement de l’entreprise, ou la céder, souvent à des fonds d'investissement étrangers moins attachés au maintien de l'activité locale. Le Pacte Dutreil a ainsi permis de soutenir la transmission d’entreprise. Entre 2008 et 2024, le nombre d'ETI en France a progressé de 4 700 à 6 200 1. Étant précisé que plus de 2 000 pactes Dutreil sont signés chaque année depuis 2018 2.
Comment bénéficier du Pacte Dutreil ?
Conclure un engagement collectif de conservation…
Les titres de la société transmis doivent avoir fait l’objet d’un engagement collectif de conservation pris par le donateur ou le défunt, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec un ou plusieurs autres associés de la société. L’engagement « collectif » peut également être pris par une personne seule. En d’autres termes, le dispositif bénéficie aussi aux transmissions de sociétés unipersonnelles (EURL, Sasu...).
D’une durée minimale de 2 ans, l’engagement collectif commence à courir à compter de l’enregistrement de l’acte le constatant (pour un acte sous seing privé) ou de la date de l’acte (pour un acte authentique). L’engagement devant, en principe, être en cours au jour de la transmission.
En outre, l’engagement collectif doit porter sur un certain quota de titres, à savoir au moins :
- 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote pour une société cotée ;
- ou 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pour une société non cotée. Ces quotas devant être respectés pendant toute la durée de l’engagement collectif.
Point important, en l’absence d’engagement collectif pris avant la transmission, il est néanmoins possible de bénéficier de l’exonération partielle à certaines conditions. Ainsi, l’engagement collectif peut être « réputé acquis » lorsque le donateur ou le défunt, seul ou avec son conjoint ou partenaire de Pacs ou concubin notoire, détient, directement ou indirectement (dans la limite de deux niveaux d’interposition), depuis au moins 2 ans, le quota de titres requis et que l’un d’eux exerce dans la société depuis plus de 2 ans, selon les cas, son activité professionnelle principale ou une fonction de direction éligible.
Autre condition, la société dont les titres sont transmis doit exercer, de façon prépondérante, une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, peu importe en revanche son régime d’imposition. Ainsi, les entreprises exerçant une activité mixte sont admises au bénéfice du pacte Dutreil, dès lors que leur activité opérationnelle éligible est exercée à titre principal. Autrement dit, les sociétés ou entreprises exerçant une activité civile minoritaire peuvent bénéficier du régime de faveur.
En revanche, sont exclues du dispositif les activités de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier (activités de location meublée, par exemple), sauf s’il s’agit d’une société holding animatrice.
Encadré : Qu’est-ce qu’une holding animatrice ? Est animatrice une société qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe, constitué de sociétés contrôlées directement ou indirectement, exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, et auxquelles elle rend, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers. |
… et un engagement individuel de conservation
Au jour de la transmission, chaque donataire ou héritier doit également prendre l’engagement individuel, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les titres transmis pendant au moins 4 ans à compter de l’expiration de l’engagement collectif de conservation pris précédemment ou de la transmission si l’engagement collectif est réputé acquis.
Précision : l’engagement individuel peut ne porter que sur une partie des titres transmis, l’exonération étant alors limitée à la fraction des titres faisant l’objet de cet engagement.
Occuper une fonction de direction
En outre, l’un des donataires ou héritiers ayant pris l’engagement individuel, ou l’un des associés ayant souscrit l’engagement collectif doit exercer, pendant la durée de l’engagement collectif et les 3 ans qui suivent la transmission :
- soit son activité professionnelle principale (dans le cas d’une société de personnes)
- soit une fonction de direction éligible (dans le cas d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés).
Quelles obligations déclaratives ?
Certaines obligations déclaratives doivent être respectées pour pouvoir bénéficier de l’exonération Dutreil. Concrètement, les héritiers ou les donataires doivent joindre à la déclaration de succession, ou à l’acte de donation, une attestation de la société dont les titres font l’objet de l’engagement collectif certifiant que celui-ci est en cours au jour de la transmission et qu’il a porté jusqu’à cette date sur le quota de titres requis, et la copie de l’acte de l’engagement collectif.
Puis, après la transmission, sur demande de l’administration, ils doivent remettre dans les 3 mois une attestation de la société certifiant que l’ensemble des conditions d’application du Pacte Dutreil ont été respectées de manière continue depuis la transmission.
Enfin, dans les 3 mois qui suivent la fin de l’engagement individuel, ils doivent remettre cette attestation certifiant du respect de l’ensemble des conditions jusqu’à leur terme.
La remise en cause de l’exonération
Il faut savoir que l’exonération partielle de droits de mutation peut être remise en cause en cas de non-respect des engagements collectifs et individuels, notamment en raison de la cession des titres de la société. Cette remise en cause peut concerner soit l’ensemble des héritiers ou donataires, soit seulement l’un d’entre eux.
Par exemple, en cas de cession avant la transmission à un tiers, l’exonération est remise en cause en totalité pour le cédant. Toutefois, le pacte demeure valable pour les autres signataires, sous réserve qu’ils conservent leurs titres jusqu’au terme initialement prévu et que les seuils de détention requis continuent d’être respectés.
Autre exemple, après la transmission, si l’un des bénéficiaires de l’exonération (héritier ou donataire) cède ou donne, au cours de l’engagement collectif, une partie des titres reçus, à un autre signataire du pacte, l’exonération est remise en cause, mais seulement à hauteur des titres cédés ou donnés.
La remise en cause du régime de faveur donne alors lieu à restitution du complément de droits de mutation ayant fait l’objet de l’exonération et au versement d’un intérêt de retard (0,20 % par mois).
Pacte Dutreil, quels avantages fiscaux ?
Prenons l'exemple d'une entreprise dans le secteur informatique. Le chef d’entreprise, âgé de 65 ans, est propriétaire de 100 % des actions de la société. La valeur de ses titres est estimée à 1 million d’euros. Il envisage de passer la main à son fils unique en réalisant une donation de la totalité des titres. Voici le coût fiscal d’une telle opération avec et sans le dispositif Dutreil.
Donation sans Pacte Dutreil
Valeurs des titres : 1 000 000 €
Abattement parent-enfant de 100 000 € : 1 000 000 – 100 000 = 900 000 €
Application du barème progressif des droits de mutation à titre gratuit : 30 % (taux marginal pour une part taxable jusqu’à 902 838 €), soit 212 962 €
Réduction de droits de 50 % en cas de donation de titres de sociétés consentie en pleine propriété par un donateur âgé de moins de 70 ans : 212 962 €/2 = 106 481 €
Total des droits de mutation à payer = 106 481 €
Donation avec un Pacte Dutreil
Valeurs des titres : 1 000 000 €
Base taxable des titres transmis limitée à 25 % de leur valeur (Dutreil) = 250 000 €
Abattement parent-enfant de 100 000 € : 250 000 – 100 000 = 150 000 €
Application du barème progressif des droits de mutation à titre gratuit : 20 % (taux marginal pour une part taxable jusqu’à 552 324 €), soit 28 194 €
Réduction de droits de 50 % en cas de donation de titres de sociétés consentie en pleine propriété par un donateur âgé de moins de 70 ans : 28 194 €/2 = 14 097 €
Total des droits de mutation à payer = 14 097 €
1. Source : (Ré)industrialisation : le facteur ETI, KPMG – METI – Septembre 2024
2. Source : DGFiP
Par Sarah de Gouyon Matignon - Les Echos Publishing.