Après leur coup de colère fiscal, les dirigeants de LBO se fédèrent
En pleines discussions avec Bercy et Matignon sur la fiscalité de leur « management packages », les patrons de sociétés détenues par des fonds vont faire entendre leur voix au travers d'une nouvelle Alliance des entrepreneurs et des salariés investisseurs (Alesi).
« On ne veut plus se retrouver à être exclus de la table. Quand il y a une chaise vide, ça se passe assez mal en général. » Après le temps de la fronde menée par Eric Maumy, le patron d'April, est venu celui de rassembler ses forces chez les dirigeants de sociétés sous LBO, furieux d'avoir été mis à l'écart de la réforme fiscale de leurs plus-values, discutée entre les fonds et Bercy.
Avec Benjamin Fremaux, le patron d'Idex, et le fondateur du Club LBO Ronan Lebraut, qui rassemble 250 adhérents pesant quelque 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires, ils ont officialisé mercredi la création de l'Alliance des entrepreneurs et des salariés investisseurs (Alesi).
Objectif immédiat : peser dans les discussions avec Bercy et Matignon pour qu'ils puissent réinvestir leurs plus-values - négociées dans le cadre de « management packages » - sans être imposés au prix fort, soit à 59 % comme du salaire, au moment où leur entreprise est revendue à un fonds. A horizon six mois, quand vont s'ouvrir les débats sur la nouvelle loi de finances, ils souhaitent que l'Etat change de logiciel afin d'aligner leur traitement fiscal sur celui de leurs plus proches partenaires avec qui ils co-investissent en misant à risque leur patrimoine personnel.
Ascenseur social
Imposés en capital sur leurs plus-values (les « carried interest »), ces gérants de fonds sont taxés quasiment moitié moins (34 %). « Attention à ce que l'on ne se trompe pas, dit Eric Maumy, on ne parle pas de protéger de l'enrichissement personnel comme si on tirait un ticket de Loto gagnant, l'enjeu c'est la réussite de l'entreprise. » « Le LBO pour ceux qui investissent est un véritable ascenseur social », dit ce fils de professeurs, qui a investi tous ses moyens, d'abord au côté du fonds CVC, puis avec KKR.
C'est vrai aussi des salariés pour lesquels ils ont mis aussi en place des systèmes de partage des plus-values et qu'ils veulent fédérer. La moitié des 3.000 salariés d'April comme la moitié des 6.000 d'Idex sont actionnaires. Là aussi il faut lever un sérieux obstacle, avertissent Benjamin Fremaux et Eric Maumy : « Ils ne pourront plus loger leurs titres dans un PEA. Ceci les prive de la possibilité de se constituer un patrimoine. »
LBO : l'impôt m'a tuer
« Si on applique la nouvelle loi, il n'y aura plus une entreprise à succès comme Fives, HomeExchange, Trescal, Funecap, Socotec où un dirigeant français pourra monter au capital. » La réforme conduit à taxer comme du salaire les gains des dirigeants une fois que les fonds à leur côté aient réalisé trois fois leur mise et qui se veut rétroactive.
Après la gronde contre les fonds accusés de trahison, est venu le temps de la concorde. « Nous nous sommes parlé avec France Invest et nous sommes complètement alignés pour obtenir une inflexion de la réforme », dit Eric Maumy, évoquant sa « lune de miel » avec le fonds CVC son premier partenaire, et ses « très bonnes relations avec KKR ».
Une rupture aurait pu coûter cher à l'industrie du non coté, mais aussi aux objectifs de croissance du gouvernement : les fonds ont investi dans 1.363 entreprises rien qu'au premier semestre 2024, selon les chiffres de France Invest, pour 10,6 milliards d'euros. « S'il faut comparer au nombre d'entreprises qui se cotent en Bourse, on parle de quelques dizaines de sociétés par an en France, et en 2024 de 7 entités pour 754 millions d'euros levés », ont rappelé les promoteurs de l'Alesi.
Par Anne Drif. Publié le 13 mars