Une question de survie : Les PME et ETI françaises face au mur de l'intelligence artificielle

« Une question de survie ». Pas moins. C'est ainsi que la majorité des dirigeants de PME-ETI jugent le rôle joué par l'intelligence artificielle dans l'avenir de leur entreprise. Selon une étude de Bpifrance sur la percée de l'IA dans les PME-ETI françaises, qui sera publiée ce mercredi et que « Les Echos » dévoilent en exclusivité, 58 % des 1.200 chefs d'entreprise interrogés considèrent l'IA comme « une question de survie à 3-5 ans ». Et si on les interroge sur son impact à l'heure d'aujourd'hui, ils sont 38 % à le penser.

« Leur vision du digital il y a une dizaine d'années, qui était à l'époque la révolution technologique phare, était bien différente : ils étaient 85 % à considérer que le digital n'était pas stratégique ou que c'était un effet de mode », met en avant Elise Tissier, directrice de Bpifrance Le Lab. « Pour l'IA, ils lui trouvent clairement une utilité », ajoute-t-elle.

Perte de confidentialité

Mais paradoxe : si ces chefs d'entreprise sont conscients du potentiel de la mutation, sur le terrain, c'est une autre histoire. « Ils ne sont pas encore passés à l'action », juge l'étude. Plus de la moitié d'entre eux (57 %) déclarent ainsi ne pas avoir encore défini de stratégie en la matière.

« On peut aussi voir le verre à moitié plein : 15 % disaient utiliser une IA générative en décembre 2023, elles sont 26 % aujourd'hui. Le taux d'adoption a doublé en moins de deux ans », préfère souligner Philippe Mutricy, directeur des études chez Bpifrance, qui salue au contraire « ces entreprises qui y vont pas à pas, en maîtrisant les risques ».

Pour l'heure, l'écrasante majorité des dirigeants de PME-ETI (94 %) utilisent l'intelligence artificielle pour optimiser l'existant, en misant par exemple sur l'amélioration des performances (81 %) ou la réduction des coûts (45 %). La plupart utilisent des solutions gratuites ou prêtes à l'emploi. « Les dirigeants voient moins à ce stade en quoi l'IA peut leur permettre de développer leur activité », souligne l'étude, citant par exemple la possibilité de gagner des parts de marché ou d'augmenter le chiffre d'affaires.

Au niveau sectoriel, la tech et la finance sont en pointe dans l'utilisation (l'IA y est utilisée respectivement par 79 % et 47 % des dirigeants), ainsi que l'industrie (23 %). De l'autre côté du spectre, la construction et les transports n'ont pas encore sauté le pas.

Parmi les freins au déploiement de l'IA, la plupart des répondants évoquent à égalité des coûts trop élevés (30 %) et le risque qui pèse sur le partage des données avec la perte de confidentialité ou de souveraineté (30 %). La difficulté à identifier des usages pertinents arrive en troisième position (23 %). « Certes, il y a un boulevard d'opportunités qui s'ouvre devant elles, mais qui est loin d'être facile à appréhender », résume Elise Tissier.

Productivité

« Les entreprises sont intéressées mais ne savent pas comment faire, elles manquent cruellement d'expertise », renchérit Vincent Criquebec, qui pilote le programme IA Booster, mis en place par Bpifrance en 2022 pour aider les PME-ETI à diagnostiquer leurs besoins et à identifier des applications de l'IA. En 2024, plus de 600 dirigeants ont été accompagnés, contre 40 en 2022. « L'aide à la rédaction de devis, à la réponse client, à la traduction ou à l'écriture de contenu est simple à mettre en oeuvre et permet de gagner en productivité, mais si on veut se différencier, il faut aller plus loin et adapter le projet à son métier », décrit Vincent Criquebec.

L'entreprise Time to Fly, spécialisée dans le conseil dans le domaine aéroportuaire, est en train de mettre en place une IA pour vérifier la conformité réglementaire des documents, particulièrement complexe dans ce secteur de l'aviation. Aujourd'hui, elle ne cache pas y aller avec prudence. « Ce n'est pas si simple, on est en train de vérifier la fiabilité car in fine il s'agit de confier à l'IA le rôle d'expert », déclare Pascal Ravel, à la tête de cette société parisienne de 50 personnes, qui a pour l'instant investi 100.000 euros dans le projet.
« Les tâches qui prennent deux heures par jour de manière répétitive sont une bonne base pour commencer à introduire l'IA, gagner du temps et de la productivité », recommande de son côté Nicolas Marchais, PDG de Phacet  qui met en place des agents IA en back-office (gestion des factures, finances, juridique…) chez une dizaine de clients ETI-PME.

Réfractaires

Parmi les conditions pour réussir : l'adhésion des salariés. « Embarquer les équipes dans l'aventure est essentiel pour les rassurer et mener à bien le projet », insiste Elise Tissier. 39 % des dirigeants disent ainsi avoir « manqué de soutien » de la part de leurs collaborateurs. Mais c'est avant tout le dirigeant qui fait la différence. Dans 73 % des cas, il a été moteur dans la stratégie déployée.

Reste aussi à amadouer le noyau dur des réfractaires - « ce petit front du refus », selon Elise Tissier - qui représente tout de même 27 % des dirigeants interrogés. Craignant surtout l'impact sur l'emploi, ils ne perçoivent ni l'intérêt ni les usages possibles de l'IA pour leur entreprise. En tout cas, pas pour l'instant.

Par Marion Kindermans. Publié le 4 juin 2025.