Commerce : les nouveaux défis de la franchise
Le commerce franchisé a le vent en poupe, avec 90.600 points de vente et près d'un million d'emplois, et attire les créateurs d'entreprises. Face à un contexte plus complexe, les enseignes sont obligées de s'adapter en accompagnant mieux leurs franchisés.
Plus de 88 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 960.000 emplois et 90.600 points de vente. Le modèle de la franchise est incontournable. Et attractif. Parmi les Français qui songent à créer une entreprise (un tiers des adultes), 52 % envisageraient de le faire en franchise, soit 9 points de plus en un an, selon la dernière étude de la Banque Populaire avec la Fédération française de la franchise.
« Derrière le statut d'autoentrepreneur, la franchise est une option privilégiée par les salariés en phase de reconversion professionnelle. Cela permet de se lancer dans l'entrepreneuriat en s'appuyant sur un concept ayant déjà fait ses preuves », résume Sylvie Gaudry, directrice du Salon Franchise Expo, qui a lieu ce weekend à Paris.
Le secteur constitue un monde foisonnant. Il compte 2.089 enseignes recensées, dont une très large majorité de PME, dans des domaines aussi divers que l'alimentaire, la restauration, les services automobiles ou le bâtiment. Et pas moins de 98 % des franchiseurs auraient engagé des projets de transformation, avec une priorité, pour neuf entreprises du dix : le renforcement de l'animation des réseaux, qui fait encore défaut.
Plus complexe
Le réseau Irripiscine, basé en Haute-Garonne et qui réunit 140 magasins, vient ainsi d'investir dans un studio professionnel pour ses visioconférences organisées deux fois par mois. « Cela donne une qualité TV et permet de garantir la présence de tous les membres du réseau et la certitude de passer les bons messages », insiste Yves Allibert, son président.
Pendant des décennies, la séparation des rôles entre le franchiseur et le franchisé était claire. Le premier, propriétaire du concept, dictait la stratégie, et le second, entrepreneur indépendant et maître chez lui, n'avait d'autre choix que de l'appliquer.
Les choses évoluent dans un contexte qui n'a plus rien à voir avec les années 1980, période de forte croissance de la franchise : un commerce plus complexe, un poids grandissant du numérique et de l'e-commerce, et une complexité administrative grandissante poussant les entrepreneurs a demandé de l'accompagnement. Les franchiseurs n'hésitent pas à se charger de certaines fonctions, comme l'informatique ou les achats. « Ce qui serait passé pour de l'ingérence du franchiseur devient désormais de sa responsabilité », note Sylvain Bartolomeu, président de Franchise Management.
Ainsi, les réseaux de services à la personne regardent de près la gestion des ressources humaines chez leurs franchisés. C'est le cas pour l'Onglerie, le leader français du marché de la manucure installé à Bordeaux. En plus de la formation technique obligatoire, chaque nouvelle franchisée reçoit des cours de management depuis la gestion des horaires ou des plannings jusqu'aux primes. « Une franchisée démarre souvent seule, mais elle peut très vite être amenée à embaucher, et il faut y être préparé », explique Angélique Gascoin, qui a racheté le réseau en 2021.
Nos managers doivent devenir de gentils animateurs et apprendre à créer des événements. Christophe Fargier, président de Ninkasi
La formation est aussi au coeur de la stratégie de Ninkasi, un réseau de bars à bière qui s'est développée en Auvergne-Rhône-Alpes et dont les établissements peinent à retrouver leur fréquentation d'avant la crise du Covid. « Les clients ont pris goût au cocooning et notre principal concurrent, c'est le canapé. Nous devons donc réenchanter nos établissements et parier sur la dimension festive, la convivialité et les rencontres. Nos managers doivent devenir de gentils animateurs et apprendre à créer des événements », insiste Christophe Fargier, le président de Ninkasi.
Certains vont plus loin. Les franchiseurs, qui ont développé des services pour gérer les points de ventes qu'ils possèdent en propre, notamment l'informatique, les mettent désormais au service de leurs franchisés. C'est le cas chez Pizza Cosy, une enseigne née en 2010 dans la banlieue de Saint-Etienne. « Dès l'origine, nous avons voulu simplifier la vie du franchisé », souligne Florent Mercier, son fondateur. Avec une cuisine centrale qui fournit l'essentiel des ingrédients et un restaurateur qui se borne à « l'assemblage et la cuisson » des pizzas.
Pour animer leur réseau, les enseignes se sont souvent dotées d'une équipe chargée de visiter chaque franchisé plusieurs fois par an. « Ces animateurs, dont le rôle se bornait à contrôler que le concept était bien appliqué, deviennent des coachs de chef d'entreprise », analyse Sylvain Bartolomeu. Chez Pizza Cosy, cet « accompagnement opérationnel » vise ainsi le développement de l'enseigne, explique Florent Mercier. « Notre objectif est d'aider l'entrepreneur à devenir multifranchisé. »
« Coconstruction »
Si la croissance reste un objectif pour la plupart des réseaux, les plus anciens doivent composer avec des franchisés qui vieillissent et souhaitent céder leur entreprise. « Cela devient une préoccupation pour des enseignes qui programment une quinzaine d'ouvertures par an mais font face à autant de cessions », observe Sylvain Bartolomeu.
Le sujet fait désormais partie des priorités au sein d'Attila, un réseau spécialisé dans l'entretien des toitures basé dans le Loiret. « Nous cherchons à anticiper le problème en accompagnant le franchisé dans la recherche d'un repreneur, avec l'accompagnement d'un cabinet comptable afin de valoriser au mieux l'entreprise », explique Anthony Boulch, le directeur d'Attila.
Le modèle de la franchise permet un développement rapide mais est loin d'être inoxydable. A l'image des difficultés rencontrées par l'enseigne immobilière Stéphane Plazza ou de Carrefour qui fait face à la fronde de ses franchisés. Un écueil que cherche à éviter Irripiscine, qui parie sur la concertation à travers des commissions d'une dizaine de personnes comptant toujours six franchisés, explique Yves Allibert : « La stratégie se discute et se décide avec les franchisés qui sont des entrepreneurs connaissant très bien leur marché. Pour qu'ils suivent, il faut qu'ils soient partie prenante. La coconstruction est un passage obligé. Sinon, cela crée des frustrations. »
Une démarche qui s'installe très lentement dans le paysage. « Bien des franchises ont adopté ce mode d'organisation, mais celles acceptant une posture d'égal à égal avec les franchisés sont plus rares », admet Sylvain Bartolomeu.
Par Matthieu Quiret. Publié le 13 mars 2025